C’est ce que démontre une récente étude de ce début d’année 2017 et qui fait pas mal de bruits dans le monde du jeu d’argent et de hasard. Des titres comme « Casino et loterie font leur beurre avec les accros » fleurissent sur le net et dans les journaux. Une épine dans le pied pour les acteurs majeurs de ce domaine bien spécifique, qui se développe à tâtons, mais toujours contraint à de nombreuses restrictions et législations. C’est peu comme la danse, un pas en avant, deux pas en arrière. Les ténors du domaine s’en défendent. Qu’en est-il en Suisse ? On fait le point.
Pour les organismes, qui luttent jour après jour, contre les problèmes d’addiction aux jeux d’argent, c’est un constat explosif. La minorité de joueurs atteints d’addiction aux jeux, représentant 1 à 2 % de la population adulte, serait à l’origine d’environ 40 % des recettes totales des loteries, casinos et jeux en ligne. Cette étude explique que, plus le jeu est addictif, plus la part provenant des joueurs accros est grande : cela varie entre 76 % pour le poker, 24 % pour la loterie à numéros ou encore 26 % pour les jeux à gratter et 41 % pour les machines à sous. France, Royaume-Uni, Canada ou encore Australie, les chiffres se ressemblent et le constat est le même. Qu’en est-il en Suisse ?
« En Suisse, nous n’avons pas encore approfondi ce point », nous explique Oliver Simon, médecin en charge du Centre du Jeu excessif à Lausanne. « Cependant, nous pensons que la situation sera totalement la même, et les chiffres seront une réalité explosive ». À savoir que le chiffre d’affaires global dans ce domaine atteint les 1.6 milliard de franc en Suisse. Si nous partons sur une moyenne de 40 %, comme elle a été observée chez tous nos voisins, cela correspondrait à des dépenses affichant un montant colossal de 600 millions de francs par année, et il faut le souligner, des sommes faramineuses dépensées par une population souvent marquée par la précarité. « Notre service prend souvent en charge des joueurs qui ont perdu des centaines de milliers de francs », rajoute ce responsable en la matière.
«Conflits conjugaux et familiaux, dettes, dépression, stress, absentéisme, isolement, perte de d’emploi: les coûts sociaux atteindraient jusqu’à 600 millions de francs par an en Suisse.»
Le phénomène des joueurs excessifs est réel en Suisse, et ne peut être minimisé. Les établissements de prévention s’en inquiètent au vu des conséquences ravageuses de cette addiction des temps modernes. Conflits conjugaux et familiaux, dettes, dépression, stress, absentéisme, isolement, perte d’emploi : les coûts sociaux atteindraient jusqu’à 600 millions de francs par an en Suisse. Des risques, qui pourraient doubler chez les jeunes, via les développements et progrès numériques : « Des centaines d’ingénieurs de la Silicon Valley sont payés pour rendre les écrans, toujours plus addictifs », met en avant Jean-Félix Savary, du Groupement romand d’étude des addictions.
Tout en reconnaissant le phénomène, ils contestent fermement ce taux qui ne serait « pas transposable en Suisse ». La Loterie Romande s’en défend avec deux études à l’appui, datant de 1999 et de 2006 : « Notre taux de joueurs addicts en Suisse, ne s’élève qu’à 0,5 %, ce qui représente 4 000 à 5 000 personnes. Comment un nombre si peu élevé pourrait générer 40 % du chiffre d’affaires à eux seuls ? C’est totalement absurde et faux » se défend Jean-Luc Moner-Banet, directeur général de la LoRo. Dans le même sens, le président de la Fédération suisse des casinos, Christophe Darbellay, rajoute que « Les joueurs addicts sont très vite stoppés en Suisse, cette proportion de 40 % me semble saugrenue ».
Et dans tout cela, quelle est l’opinion des institutions suisses de surveillance et de régulation ? La Commission Fédérale des Maisons du Jeu, CFMJ, reconnaît tout de même que les joueurs excessifs, jouant d’importants montants, contribuent plus que les autres aux bénéfices des casinos, et autres jeux d’argent et de hasard, mais ne s’avance pas beaucoup. « Nous ne connaissons pas encore le pourcentage précis et dans quelle proportion, alarmante ou non, les joueurs pathologiques contribuent aux recettes des casinos et loteries », admet la porte-parole du CFMJ, Maria Saraceni.
Des avis qui divergent, des acteurs qui se renvoient la balle... Cette zone est, encore, très floue en Suisse. Une nouvelle étude paraît, donc, être la solution pour établir un réel état des lieux et mettre fin à toutes ces spéculations.
Peut-on évoquer le conflit d’intérêts ? D’une part, la protection de l’État, et de l’autre, l’apport économique certain de ce domaine en plein boom ? N’oublions pas que les établissements de jeu contribuent à nos retraites ! C’est environ 300 millions de francs par an qui partent en direction de l’AVS. Sans négliger les bénéfices versés à l’utilité publique : le sport, la conservation du patrimoine, la santé, le handicap, la culture… En 2015, la Loterie Romande a généreusement injecté 209 millions de francs dans ces différents domaines…
Une ambivalence qui arrive, à un moment décisif : une loi très attendue dans le monde du jeu d’argent est actuellement entre les mains du parlement suisse. Affaire à suivre.